« Ah, Minhwan, c'est un plaisir de vous voir, vous avez manqué votre séance la semaine dernière. » Son sourire est doux, il se veut rassurant, mais tu n'es pas dupe, tu sais qu'elle sourit de la même façon à chacun de ses patients, mais tu es l'astre solaire, alors tu souris en retour, baissant légèrement le regarde de gêne.
« Oui je... J'avais pas de quoi régler. » Tu ne vas pas lui mentir, elle sait déjà tout, il n'y a rien que tu puisses lui cacher, elle a déjà fouillé dans des recoins si sombres de ta mémoire, déterré des souvenirs ton tu ne te souvenais même plus, ceux qui t'ont autant blessé que soigné, et alors que tu t'assieds dans le divan, tu hésites, on te demande encore une fois de parler de ton enfance et le rideau de tes paupières se ferme sur le plafond de la salle.
Tu n'es qu'un enfant, bien sûr que ce morceau de chocolat te fait terriblement envie, mais il est clair que vous ne pouvez pas vous payer le luxe de l'acheter, alors tu détournes le regard, croise celui de ton frère, souris comme un idiot, ce que tu fais de mieux, avant de glisser ta petite main dans celle fine et fragile, de votre mère, la suivant à la caisse. Tu essaies d'aider, tes mains s'accrochent au comptoir pour aider à emballer les achats que vous venez de faire, de quoi faire quelques repas, même pas de quoi remplir le coffre de votre vieille voiture. Le trajet du retour se fait dans la bonne humeur alors que vous chantez tous les trois le dernier tube à la radio, riant lorsque l'un faisait l'idiot, et alors que tu t'apprêtes à pousser une note un peu trop haut, une main aussi potelée que la tienne glisse entre tes doigts, chaude et douce, serrant brièvement ta main. Le chocolat qui vient d'être déposé dans ta paume a déjà commencé à fondre, mais cela n'enlève rien au sourire solaire que tu lances à ta moitié, Mingyu, assis à ton côté, qui te fait un clin d'oeil complice, ni même au goût formidablement sucré et empli de gratitude de la gourmandise contre ton palais.
« On progresse, c'est bien, votre relation avec votre frère est vraiment belle. » Tu acquiesces doucement, un sourire aimant collé à ses lèvres alors que tu songes à ces souvenirs bienheureux, cette entente que vous partagiez dans la simplicité de votre foyer, de vos vies, tu as presque envie de rire, sentant encore le goût de ce formidable trésor dérobé glissant contre tes papilles. Un soupir t'échappe alors qu'on te presse à parler encore, et parce que tu sais que tu en souffrirais, tu omets cet événement qui te hante.
« Hm... Mon père était vraiment quelqu'un de gentil. Il donnait tout. »Il y a quelques mois encore, tu plaisantais avec lui, oui, il était fatigué, oui, c'était difficile, mais il animait les repas de son rire tonitruant, copieux, généreux, plus nourrissant que toutes les soupes que votre mère pouvait préparer. Il avait promis de t'emmener à Sydney pour cette dédicace de cet auteur que tu aimais tant, mais une fois encore, c'est la salle d’hôpital aseptisée qui t'héberge, ta main doucement glissée dans le dos de ta mère qui semble plus fatiguée que jamais. Deux semaines que vous vivez au rythme des pulsations retranscrites sur cet écran, deux semaines que vous vous relayez pour prendre soin de tout ce que la vie vous a laissé. Tu lèves les yeux sur ton aîné qui vient d'entrer et même si son regard fuit le tien un instant, tu sens ses doigts glisser entre les tiens doucement et c'est la fin. Votre mère s'effondre et il est clair qu'aucun d'entre vous ne tiendrait debout sans l'autre, ton visage glisse contre son épaule, dissimulant ton instant de faiblesse, car tu dois continuer à rayonner, quoiqu'il vous arrive, tu ne dois pas cesser de sourire... Sauf peut être aujourd'hui.
« Je vois, perdre un parent n'est jamais facile, mais votre famille est très unie. » Tu ouvres les yeux un instant, ses paroles t'interpellent. Êtes-vous vraiment encore cette famille aux liens si étroits qu'il était impossible d'en discerner les membres ? Les tourments de la vie vous ont tellement maltraités. Tu chéris ta mère comme avant, mais elle se fane inexorablement, tu sais qu'elle ne possède plus la force d'avant. Quant à ton frère, ta moitié, ton âme sœur...
« Je... Je pense que Mingyu a honte de moi. » Et pour capturer cette larme qui menace de dégringoler contre ta peau, tu clos à nouveau tes yeux, pudeur ou fierté, allez savoir ?
Un rire glisse hors de tes lèvres, tu as enfin réussi à te procurer ce bouquin hors de prix pour les études de Mingyu, après des semaines à entendre Gyu râler contre les bibliothèques inutiles et les prix exorbitants, tu es enfin parvenu à te procurer un exemplaire, certes, tu as sacrifié ta séance chez le psy, mais le rêve de ton frère vaut tous les sacrifices. Tu ne résistes pas à l'envie d'aller le trouver à la fac, demandant ton chemin à plusieurs reprises car malgré ton jeune âge, les couloirs de l'université te semblent un labyrinthe menaçant. Finalement, la silhouette de ton jumeau se dessine et avant même que tu aies pu dire quoique ce soit, la voix de celui qui partage ton cœur claque contre ton visage plus violemment qu'une claque.
« Retourne ouvrir des conserves, j'suis occupé là. » Ton visage s'assombrit doucement, mais tu continue de sourire, le livre serré étroitement contre ton buste, comme une protection, tes mains ne peuvent pas trembler devant lui, tu ne dois pas lui montrer que ce dos qu'il tourne vers toi, dédaigneux et froid, te blesse, te torture. Et comme tu es docile, tu fais demi-tour, de toute façon, il rentre ce soir, il trouvera le livre de lui même. Tu ne parles pas de cette angoisse qui te ronge une fois dans la vieille carcasse branlante qui te sert de voiture, les mains tremblantes à la recherche de tes pilules dissimulées au fin fond de la boite à gants, tu n'en parleras pas.
« Bien, nous en avons fini pour aujourd'hui, Minhwan. » Tu souffles d'aise, tu ne sais plus si ces séances te font du bien ou si elles te torturent, tu retrouves la secrétaire pour régler les honoraires et quelques minutes plus tard tu es chez toi. Pour une fois, tu ne manges pas avec ta mère, tu embrasses son front avant d'aller directement te coucher, priant que les cauchemars te foutent la paix ce soir.
Tu replonges dans ces yeux paniqués, ton esprit est inondé par ton nom qu'il crie à s'en déchirer les cordes vocales. Il va mourir, il va s'écraser au fond du puits, vous allez mourir, alors tu fermes les yeux, attendant l'ultime douleur. Mais lorsque tu les rouvres, tes mains sont serrées autour de celle de ton jumeau, inerte. Tu as pensé qu'il bougeait un nombre incalculable de fois, tu as cru le voir ouvrir les yeux une centaine de fois, tu as sonné l'alerte à de si nombreuses reprises que les infirmières ne s'éloignent plus de la chambre. Et tu ne peux pas abandonner, son cœur bat, ton cœur bat, votre cœur bat. Tu tombes si aisément de fatigue à son chevet, le crâne contre son matelas, posant sa main dans tes cheveux comme il l'aurait fait. Quand tu te réveilles, tu assistes à une de ses séances de rééducation derrière cette fenêtre, tu le vois souffrir, son beau visage empruntant les traits de la douleur. Les larmes glissent contre tes joues et alors que tu le vois trébucher et chuter, tu ne peux t'empêcher d'appeler son nom, bien qu'il ne t'entende pas.
« MINGYU !!!!! » La transpiration colle tes cheveux à ton front, tu es dans ta chambre à nouveau, tu étouffes un sanglot dans ton oreiller pour éviter que votre mère l'entende et finalement, tu vas te doucher. Quelques heures plus tard, ton aîné glisse dans votre chambre pour t'enlacer. Tu ne t'es pas rendormi, tu n'as pas réussi, comment aurais-tu pu ? Ses mots caressent ton âme et tu ne peux que lui rendre cette étreinte sans un mot, le tirant dans tes bras comme Morphée le fait avec un enfant, tendrement, parce qu'il est ton autre et que tu peux tout lui pardonner.